Dr. Feelgood
Wilko Johnson - L'Echo d'Hector (novembre 1989)

Propos recueillis par Jean-Louis Schell © L'Echo d'Hector
Merci à Didier Pasquier !

De temps à autre, un guitariste s’impose. Son accession aux médias peut être due à plusieurs paramètres : sa facilité à raconter tout, n’importe quoi, et même le reste, son look, ou, plus prosaïquement mais plus rarement aussi son jeu de guitare.

En 1975 de notre ère, un groupe émergea des raffineries de pétrole du Southend. Ces inconnus du nom de Dr Feelgood tenaient des propos inédits à l’époque, détenaient les clés d’une attitude - inédite, elle aussi- et trouvaient un son de guitare encore inédit ....

Ce guitariste novateur, chouchou de la rock-press pendant un temps, n’a jamais tiré la fortune escomptée cette renommée; mais a mis au point un style guitaristique. Le peu de monde ayant essayé de le copier n’a jamais vraiment réussi. Quelques mois après la sortie de "Barbed Wire Blues ", son dernier album, c’est l’occasion de faire le point sur le trajet chaotique de Wilko Johnson.

"Quelques notes seulement, mais les bonnes, et au bon moment l"

I. THE BOYS FROM CANVEY ISLAND

Quand, en 1975, sortit le premier LP de Doctor Feelgood (du nom d'une chanson de Muddy Waters), appelé "Down By The Jetty", la première révolution apparente fut dans la pochette : on n'avait pas encore entendu parler des Clash et autres Sex Pistols, et ces types là avaient les cheveux courts ! De plus, ils posaient (photos en noir et blanc) dans le décor qui les avait vu naître, les raffineries de pétrole de Canvey Island (dans l'Essex) .... On n'était plus vraiment habitué à ce genre de pochette, sobre, pleine de hargne contenue (sur le dos de pochette, on en est à se demander si certains ne sont pas endormis !). A l’extrême gauche de chaque photo un bonhomme sangle dans un costume noir mal taillé, coiffé d'une drôle de frange : Wilko Johnson. A l’écoute du disque, deuxième révolution : les chansons sont courtes, les reprises font preuve du meilleur goût ("Boom, Boom", "Bonie Moronie", "TequiIa"), et surtout, surtout, une guitare comme on n’en avait pas entendu depuis longtemps nerveuse, incisive, le son couvrant uniquement les médiums et les aigus, interrompant quelquefois les suites d’accords saccadés pour un court solo, constitue de quelques notes seulement, mais les bonnes, et au bon moment !... Wilko y chante déjà, de sa voix blanche, "That Ain’t The Way To Behave" et "Twenty Yards Behind".

La voix est blanche, presque faiblarde. Mais notre homme chante comme si son sort en dépendait. Ou plutôt comme s'il devait mourir une fois le dernier accord plaqué ! Dès les premières interviews, Wilko Johnson reconnaîtra une influence guitaresque : Mick Green, ayant officié au sein de Johnny Kidd & The Pirates (remember "Shakin’ All Over"....) et guitariste des Pirates tout court depuis le décès du Kidd. Comme Mick Green, Wilko joue sur une Telecaster ; comme lui, il la branche sur un ampli H-H .... Et enfin, toujours comme Mick Green, il joue sans médiator, ce qui lui vaut de tenir les concerts avec les doigts de la main droite en sang .... Comme Mick Green !...Mais notre homme n’est pas pour autant un vil copieur : même si il lui arrivait, lors de confessions à Philippe Manœuvre, d'avouer : J’écoutais les disques de Mick Green en 16 tours à l’heure actuelle, ce procédé a du disparaître, en même temps que les platines tournant en 16 tours !) pour pouvoir mieux décomposer les solos, et, ensuite, je "m’escrimais à les reproduire, encore et encore, jusqu’ ’à ce que, finalement, j’arrive"... S'il est possible de trouver des ressemblances, voire d'affirmer l’appartenance à la même... "école" (!), entre Mick Green et Wilko J., leurs goûts diffèrent : là où Mick Green, peut-être plus scolaire, s'acharne sur des reprises de Chuck Berry (ce qui n’est tout de même pas un péché), Wilko cite Dylan ou John Lee Hooker. Quand le rock, pour Mick Green (comme pour beaucoup) est une affaire de bière, de défonces diverses, de femmes and soon, Wilko, touchant à l'ascétisme, ne peut s’empêcher de venir répondre, posément, aux questions des rocks-cœurs en dégustant des oranges, et en buvant du lait; il parle aussi de sa "lady" (c'est toujours mieux que "ma meuf" ou "ma zesse-gon") et conclue que si le rock ne l’accueille pas à bras ouverts, rien ni personne ne peut l'empêcher de retrouver |'emploi de prof de littérature anglaise (intello ! crient les vrais-rockeurs-incorruptibles) qu’il occupait auparavant...


"Le groupe a ainsi posé les bases du pub-rock"

Les premiers albums se taillent un succès, qui, s’il reste tout relatif n'en est pas moins réel. Et le groupe n'a pas peur de la scène. Il remet tous les soirs les pieds sur les planches. Si les grandes scènes ne sont pas accessibles, il n’aura pas peur d'aller se frotter au public, pas toujours facile, des pubs. Doctor Feelgood, comme en leur temps les Who ou les Stones, se frottent à des gens embièrisés et cueillent ainsi leurs premiers fans. Ils deviendront ainsi les chantres (d‘autres en deviendront les chancres, mais... pas de noms !) de ce qu'on appellera le pub-rock. Et c'est sur ces scènes que le groupe fait plus que s’affirmer : Lee Brilleaux (chant, harmonica, et épisodiquement slide-guitar) éructe à la manière des vrais bluesmen, battant la mesure d’un vengeur poing terme; la section rythmique (John B. Sparks, basse et The Big Figure, batterie), sèche et concise, soutient réellement le groupe, et le jeu austère de Wilko ne craint pas le manque de seconde guitare. Wilko se donne très fort sur scène, multipliant les bonds à la Townshend, et se régalant à rajouter des staccatos de six-cordes, alors que Lee Brilleaux, dans un autre genre, s'asperge de bière, masturbe sa canette, ou sodomise la grosse caisse, qui pourtant ne lui a rien demandé. Le groupe a ainsi posé les bases du pub-rock : respect des racines, qu'elles soient blues ou Rock’n’Roll, énergie à revendre, sons de guitare agressifs quoique "roots", et surtout, jouer, jouer, jouer, pour changer de ces groupes-dinosaures qu'on ne voyait (difficilement dans des stades démesurés) et n'entendait que trop rarement. Autant dire que ce souffle a été plus que régénérateur.

Le nom du groupe est vite associé à celui d’un producteur qui monte : Vic Maile. Cet ancien tape-operalor, qui a commencé en même temps que les Small Faces, se lance dans la production, et comme Dr Feelgood, commence à être connu....Vic Maile restera dans les annales du pub-rock, en s’illustrant par la suite avec Eddie The Hot Rods, ou plus tard avec les Inmates, et beaucoup d’autres (de Motörhead aux Godfathers) avant de mourir d’un cancer, courant juillet 89.

II. FEELGOOD ON STARDOM ?

Comme tous leurs prédécesseurs, nos hommes sont pressés, et le second album ne tarde pas à être dans les bacs, en novembre 75. "Malpractice" signifie quelque chose comme "faute professionnelle", le dos de pochette est calligraphie sous forme d'ordonnance (à prendre 10 fois par jour !), et nos hommes, toujours en photo noir et blanc, posent devant un débit de boisson ("no children admitled" précise une affichette à l’entrée) comme pour affirmer cette appartenance à un pub-rock dont on parle de plus en plus, même dans la presse française. Cette fois-ci, seulement quatre titres sont produits par Vic Maile, et pour le reste, ils ont décidé de tout faire eux mêmes. On y trouvé plus de reprises que sur le premier opus : les plus marquantes sont le "I Can Tell" de Bo Diddley, "Watch Your Step" de Robert Parker et "Riot In Cell Block N° 9" de Leiber & Stoiler, ce dernier poussant à leur paroxysme la simplicité du jeu de guitare de Wilko ainsi que la puissance vocale de Lee Brilleaux. De surcroît, si les compositions de "Down By The Jetty" étaient plus qu’honorables, Wilko Johnson s‘affirme ici comme réellement talentueux. "Going Back Home", co-signée par-devinez qui : Mick Green reste l'hymne Wilkojohnsonien : "quand la terre s’arrêtera de tourner, je rentrerai à la maison"'. Les paroles foncent à l’essentiel mais ne font pas pour autant dans la logique rock par trop stupide déjà éprouvée depuis trop longtemps. "Back In The Night", émaillée de grillures de slide-guitar, en est l’exemple type : il y a (selon W.) trois significations à cette expression ("je rentre ce soir", "de retour dans la nuit" et "encore dans la merde") et, logiquement,) un couplet par signification. Peut-être sont-ce des réminiscences de la mentalité de pro de Wilko, mais cela n'empêche pas une bonne chanson de demeurer une bonne chanson.

Un an plus tard (fin 76), sort le troisième album des garçons du Southend, et c’est un live, enregistré à l’époque où sortait "Malpractice". La pochette, pour la première fois en couleurs, représente Wilko et Lee Brilleaux, le premier aspirant goulument l'air, en train de bousculer le second, ce dernier soufflant comme un malade dans son vieil harmonica... Dénommé "Stupidity", la chanson (ne figurant sur aucun des deux autres LP) qui lui donne son titre est un peu une critique du mode de vie rock, tournées, etc : "I go all around the world, yeah, yeah, what’s stupidity !"

"Partout où ils passent, les foules se déchaînent"

Wilko prendrait-il de plus en plus ses marques par rapport au rock ? A entendre sa guitare, on peut en douter. Hormis le lait que cet album soit un très bon best of des deux précédents (production Dr Feelgood et Vic Maille), ils n'ont jamais eu un meilleur son et on y trouve quelques inédits ("Roxette", "Stupidity") de grande valeur ainsi que de très bonnes reprises : "I’m A Man", Bo Diddley une lois de plus revisité, efficacement; et à entendre la façon dont Lee Brilleaux égrène les paroles, on peut douter qu’ils soient des femmelettes ! La suite logique, de Sonny Boy Williamson, s'appelle "Checking Up On My Baby", qu'on pourrait traduire par "Véririant Ma Nana"... Tout un programme, et bonsoir les poètes ! La série continue avec une autre reprise Leiber & Stoller autrefois immortalisée par les Coasters, les Persuasions, ou encore Canned Heat (liste non exhaustive), et qu‘aucun groupe twist français de l'époque n'a osé reprendre; ça aurait donné, à quelque chose près : "Je Suis Un Porc Pour Toi Ma Chérie". Mais les Doc Feelgood s’en tirent très bien avec le titre original qui est "I’m A Hog For You Baby".

III. ON THE ROAD AGAIN (short version)

Au moment de la sonie de cet album, Doctor Feelgood entame une tournée européenne qui se solde par un franc succès. Partout où ils passent, les foules se déchainent, allant jusqu’à une simili-émeute dans la patinoire olympique de Grenoble. Toute la presse les suit comme étant "the next big thing". Il est alors temps pour eux d’aller voir du côte des States pour essayer de trouver un succès mondial. Leur maison de disques (United Artists depuis le début) leur trouve une première partie de la tournée de... Kiss ! Pas fiers, ils suivent tout de même les emplumés à travers les USA. Jusqu'à ce que Lee Brilleaux et Wilko, d’un commun accord, trouvent que "la comédie a assez duré" : "Ils occupaient tous les vestiaires pour se maquiller et nous laissaient royalement les chiottes pour nous changer et accorder nos guitares". Fin de la tournée au bout de quelques dates, et, exit le rêve américain.

IV. BACK IN YOUR LIFE

Nos héros s’en reviennent sur le vieux continent, pas moins décidés à jouer leur Rock’n’Roll. Et se jettent, d’arrache pied, dans le Fiockfield Studio (créé par Dave Edmunds) à Monmouth (Pays de Galles), qui leur permettra d'enregistrer leur quatrième album. Aux manettes, on trouve Ben de Coteaux, émule de Dave Edmunds (comme par hasard) et de Floger Bechirian qui s’illustrera plus lard avec Squeeze. La pochette représente un Lee Brilleaux, allumant une cigarette, à la porte de "L’Alibi Club" (en fait un club de Canvey Island), tout en épiant un couple (au dernier plan) se roulant une pelle dans le plus pur style Hollywood années 40. Le titre ? "Sneakin’ Suspicion", genre "Reniflant/ Cachant Les Soupçons". Mignon, non ? Juste derrière Lee Brilleaux, une affichette représentant la tête rigolarde du Doctor, caricature d'un bonhomme à lunettes noires et cigarette / pétard dans le bec, caricature qui est devenu leur emblème depuis son apparition sur la pochette de Malpractice. Au dos, gros plan sur les jambes entremêlées des acteurs du fonds de pochette-recto. La femme dont la jupe, est relevée par de mâles mains, révèle, outre une culotte a rayures horizontales genre Sing-Sing, un tatouage, sur le côté de la fesse gauche, à l’effigie de la caricature citée il y a quelques lignes. Les boys de Canvey font de plus en plus de poésie ! A l'écoute, le son se révèle de plus en plus "gros", étoilé ça et là par de l’orgue. De l’orgue ? C'est surprenant mais, oui c'est bien de l’orgue ! Cet instrument alimente une pomme de discorde entre Wilko et Lee Brilleaux, le guitariste aurait voulu "sucrer" les claviers au mixage. C'est cette raison qui restera, plus ou moins officiellement, celle du départ de Wilko de Doctor Feelgood. D'après témoins dignes de foi, une autre version créditerait le fait que Wilko ail voulu jouer plus de ses propres compositions et moins de reprises.


"Le temps et le diable sauront me donner ce que je veux..."

Il n’en reste pas moins que "Sneakin' Suspicion" FGSIB un excellent album du Docteur. Une chanson ("Lucky Seven") y est signée Lew Lewis, qui avant d'être le taulard qu'il est maintenant (7 ans fermes pour avoir braqué une caisse d‘épargne avec un pistolet à eau rempli de gaz pour briquets ! Enterré James Brown !!) n’avait comme seul titre de gloire d’avoir été harmoniciste au sein d’Eddie & The Hot Rods pendant un 45 tours ("Writing On The Wall"/"Cruisin' In A Lincoln") et quelques tournées. Une reprise (presque' obligatoire ?) de Bo Diddley, "Mama Keep Your Big Mouth Shut", une de Willie Dixon, très réussie "You’ll' Be Mine", la plus convaincante restant "Lights Out", écrite il y a des temps immémoriaux, par un certain Mac Rebennack, pas encore connu sous le patronyme de Doctor John. When a Doctor meets another one... Wilko chante sur trios titres : "Walking On The Edge", "Paradise", et ce qui est une profession de foi de ce drôle de guitariste : "Time And The Devil". Le refrain est particulièrement éloquent : "Pas de femme, pas d’argent, et pas de dope, le temps et le diable sauront me donner ce que je veux ...."

V. GOING SOLO

A l’annonce de la nouvelle du départ, tous ceux qui suivaient le groupe depuis quelques années, sont interloqués. Personne n’arrivait à imaginer Wilko sans Feelgood, et lycée de Versailles. Wilko allait-il rejoindre l'enseignement ? Tous ses fans se verraient-ils obligés d’aller grossir les files d'attente d'un établissement scolaire de Canvey Island ? En attendant, les Doc Feelgood avaient engagé un nouveau guitariste (le premier d’une longue série) John Mayo, plus gros et plus lourd que Wilko, au physique comme au jeu de guitare.
Ceci sera sûrement; un jour ou l’autre, l'objet d’une autre biographie.

Pendant quelques mois, plus aucune nouvelle de Wilko. Puis les rumeurs s’enflent, jusqu’à devenir un bruit persistant : il a trouvé un label et va sortir un album solo. Et pas n'importe quel label : la jeune compagnie Virgin, après s’être offert quelques valeurs (soi- disant) sûres du punk investit sur le guitariste esseulé. Et par la même occasion, lui refile de sacrés moyens : carrément le mythique Manor Studio que Virgin a racheté et entièrement rénové. Pas moins, pour eux ! Non mais... L’album sort en octobre 79. Le producteur est un inconnu au bataillon : David Batchelor. Les musiciens qui accompagnent ne sont pas plus connus : Alan Platt, batterie et voix ; Steve Lewins, basse et voix; John Potter, claviers et voix.

VI. RETURN TO (solid) SENDERS

D’ailleurs, si ces musiciens sont des inconnus, ils ne sont pas présentés comme simples accompagnateurs, mais la pochette n’indique qu’un nom : Solid Senders. C’est donc au sein de ce groupe qu’officie désormais Wilko. Cette pochette représente un dessin noir et blanc de Wilko et ses nouveaux acolytes sur un fond (pas très beau) dans les ocre / terre de sienne de... raffinerie de pétrole (alors Wilko, back to your roots ?), zébré d’un éclair jaune soulignant une sobre calligraphie rouge vil indiquant "Solld Senders". Le disque est beaucoup plus produit et louillé qu'avec D.F. On y trouve même une chanson qui n'est pas sans évoquer JJ. Cale, "First Thing In The Morning". Etonnant, non ? Pratiquement tous les titres sont co-signés de Wilko et de l'un ou de l'autre des membres du groupes (alors qu'avec Dr Feelgood, les originaux étaient presqu’entièrement de lui, musiques et paroles).


"On a affaire à un retour en forme"

Wilko a-t-il cherché délibérément le succès commercial ? Ou a-t-il tout simplement voulu utiliser des moyens, techniques comme financiers, qu’il n'avait jamais eu le loisir d’utiliser ? Peu importe, cet album s’il est différent de tout ce qu'a pu produire notre homme, beaucoup plus cool, en demeure toujours un album plus que potable. Une seule reprise y figure, "Shop Around" signée Berry Gordy et Smokey Robinson. Toujours étonnant, non ? A noter (et à rechercher avec empressement) les premiers exemplaires du pressage anglais de cet album ont été livrés avec un mini-LP B titres (sûrement un des premiers de ce format live, bonus plus qu’intéressant qui permet d'entendre Wilko sur scène avec son nouveau groupe, alors que le premier album vient à peine de sortir ! De plus, les 6 titres choisis sont rigoureusement choisis : uniquement des reprises mais pas n'importe lesquelles, comme d’habitude : "All Aboard", "Rock Me Baby", "Neighbour, Neighbour", pour les classiques. Deux reprises qu’il chantait sur son dernier album en tant que membre de Doctor Feelgood : "WaIking On The Edge" et "Paradise", et enfin sa première reprise de Dylan sur vinyl : "Highway 61 Revisited", excusez du peu. Il a toujours voué un grand respect, si œ n'est plus, à Bob Dylan, et "Cheque Book", sur "Down By The Jetty", lui était dédié. Si l’album studio nous gratifie d'un Wilko plus 'laid-back' (pour reprendre une des expressions favorites de Lee Brilleaux), le live est un retour au Wilko bien de ses aficionados : guitare staccato, courts solos, descentes de manche raclées avec le dos des ongles, voix blanche (et idées noires 7), bref, l’urgence totale. Virgin, son nouveau label, ne suit pas : la promo est molle et la tournée devant succéder à la sortie de l'album quasi-inexistante. Wilko se jette à nouveau à corps perdu dans le circuit des clubs et pubs du Royaume-Uni. A Londres on peut le voir au Half Moon, aux Cricketers ou au Dingwalls. Les tournées sur le continent se réduisent à un passage dans la capitale (pour Paris, ce sera le Gibus...) et quelques dates éparpillées dans une province quelconque, avec une sono la plupart du temps déficiente. La routine, quoi. Qu’importe, il ne se décide pas à réintégrer l’Education Nationale. Et c’est tant mieux pour nous. Pour lui aussi peut-être, remarquez

VII. ICE ON THE MOTORWAY

Devant la réussite trés trés relative des ventes du premier LP, Wgin décide de baisser les bras. Et Wilko se retrouve seul, pratiquement sans groupe (les autres sont partis, se rendant compte que jouer avec un ex-Dr Feelgood n’est pas forcément signe d’immédiat succès), et surtout sans label. Mais à Paris, Dominique Lamblin et Marc Zermatt viennent de monter Underdog Records, pour succéder au défunt Skydog Records de Marc Zermatt. Ils signent à tour de bras (Desperados, Sparks pour ne citer qu‘eux). Marc Z. étant un ami de Wilko J., la connexion est très rapidement établie.

Durant le premier semestre 80, "Ice On The Motorway" est disponible. Cette fois-ci, la pochette ne mentionne que Wilko Johnson. Wilko, gros plan du visage en noir et blanc, semble désemparé, le carton de la pochette imitant des déchirures. Le nom de Solid Senders n'apparait que sur la pochette intérieure. Y sont crédités Russel Strutter à la basse et Alec Bines à la batterie. En caractères plus petits, on peut lire, aux claviers Mickey Gallaher, qui lut un ancien comparse d'Eric Burdon dans les New Animals et session-man attitré des Clash. Maintenant, plus de doutes possibles. On a affaire à un retour en pleine forme. L’album démarre à 100 à l’heure avec un "Bottle Up & Go" élié comme un rasoir. 1 minute 39 de boogie dérapant dans tous les sens, pour crier, vengeur, "On boit une bouteille et on s'casse"! Le titre qui ouvre cette face annonce la teneur de tout le disque. Sauvage, même dans le blues, comme en témoigne la reprise de Screamin' Jay Hawkins, "The Whommy", originellement enregistrée pour l’album de compilation "Live At The Hope 8 Anchor". D’ailleurs, on trouve sur cet album plusieurs reprises, dont une (une fois de plus, est-ce une vilaine manie ?) de Doc Feelgood : "Keep lt Out Of Sight" dont les paroles ont conquis plus d’un fan : "Resle dément, reste génial, reste hors de ma vue". A noter la belle version du "Can You Please Craw Out Your Window" de Dylan, qui à l'origine n’était qu’une b-side de 45 tours du Zim. Le Ian a encore frappé ! Si, très souvent, Wilko agit, pour les reprises tout au moins, en fan, il a le mérite de ne pas s'emberlificoter dans les citations et, pour Ian qu'il puisse être, de ne pas se figer. Sa démarche est loin de ressembler à celle de tous les émules de Dylan-chemises-à-pois-et-vestes-de-cuir. Il aime Dylan, ne se gêne pas pour décrier ce qu‘il n’aime pas chez le personnage, et même si ses reprises font souvent la preuve d’une certaine culture, aucun maniérisme ne l'affecte. El aimer Dylan ne lui interdit d'aucune façon de reprendre sur le même LP Ray Charles ("Leave My Woman Alone" encore tout un programme !) ou le plus obscur H.E. Evan "Long Tall Texan"). Les goûts du personnage sont éclectiques, à l'inverse de son jeu de guitare, qui d’un blues, à un mid-lempo, e n passant par un boogie, est souvent renouvelé, mais garde cette ligne directrice qui devient une marque de fabrique.

VIII. SOMETIMES GOOD GUYS DON’T WEAR WHITE

L’homme reste "rough", dans tous le sens du terme. Si c’est une qualité, on peut l'entendre dans chaque sillon de chacun de ses disques, si c'est un défaut, ça doit être celui qui l‘empêche de signer sur un gros label, ou de rester très longtemps en place .... Pour les gens qui suivent la carrière du bonhomme, les années 80 s’annoncent bien, car "Ice On The Motorway" est plus que rassurant. Mais cet effet est trompeur car pendant des mois, voire des années, on va se demander ce qu'est devenu Wilko. On apprend, dans la presse anglaise, qu’il a fondé un groupe avec Lew Lewis, et que ce groupe écume tous les pubs qui sont OK pour les accueillir. Mais c'est tout ce que l’on sait, si ce n’est le fait qu’ils n'hésitent pas à reprendre "Wolly Bully" enfin de set, ce qui est peut-être une bonne nouvelle, mais reste un peu maigrichon. Des tournées de clubs se font malgré tout, et quelques dates passent parla France. Quelques 45 (pour les 45, on sortira bientôt une liste complète...) sortent, difficiles à trouver en France, le seul qui soit distribué (Underdog / Carrère Distribution) n’est pas le moindre : "I Wanna Be Your Lover", encore une reprise de Dylan là cette époque, uniquement disponible sur bootleg, maintenant trouvable dans le coffret "Biograph") qui était le premier titre électrique du Zim (en 63). Le 45 en donne une très bonne version, très nerveuse et sort sous les noms "Wilko Johnson / Lew Lewis".

IX. THE SOUND OF SILENCE ? NOT AT ALL...

Puis, à nouveau, le silence... Wilko à nouveau sans label... Underdog a provisoirement disparu, et Wilko se borne, une fois de plus à écumer les pubs, et à faire quelques crochets A par le Gibus. Mais, en 84, Marc Zermati, enterré, une fois de plus, par beaucoup de gens, renaît, une fois de plus, de ses cendres, et du même coup, décide de remonter Skydog Records sous le nom de Skydog lnternational. Une des premières sorties du label est un max 8 titres de l’homme à la Telecaster noire à plaque rouge. Un album dont la pochette, dessinée, représente Wilko enfoui sous une couverture jusqu’aux yeux, et dont le titre est "Pull The Cover". "Lisez La Couverture" peut- être, mais sans oublier que cover signifie aussi une reprise, au sens musical du terme. Les crédits de pochette donnent Russell Strutter à la basse (comme sur "Ice On The Motorway"') et un énigmatique Buzz à la batterie. Les remerciements vont à Henri Gréoourt, aux cuillers et fourchettes, à Marc Z, et à Slim pour l’accordéon et le piano sur "Mendocino".Car non seulement, Wilko s'attaque (brillamment) à ce classique de Doug Sham, mais de plus, cet album ne contient que des reprises, et pas n’importe lesquelles, jugezen : "Muskrat" des Everly Bros, dont il ne conserve pratiquement que la mélodie et les paroles au profit d'une guitare, qui si elle souffre d'une prise de son un peu "maigrichonne" (comme, malheureusement tout au long de l’album), s'en donne à cœur joie.

"Certaines compos, comme "Out In The Traftic", vont même jusqu'à sonner classique"

L'attente a été longue entre les deux albums, mais sa main droite n‘a rien perdu de son agressivité (comme, heureusement tout au long de l'album !). Une seconde version du "I Wanna Be Your Lover" dylanesque, à qui manque l'harmonica du Lewis, ouvre la voie à deux obscures reprises de Phil Spector : "Ecstasy" et "My Babe". Il est particulièrement surprenant d'entendre le filet de voix de WILKO chanter des compositions spectoriennes originellement destinées à des noirs ! Mais le courant passe, d’autant que Wilko, mis en route par ces deux covers, fait encore plus fort : une reprise de James Brown ! Si, si, on parle bien du même James Brown ! Et il s'attaque carrément au mythique "Think", autant penser que le blanc-bec n'a peur de rien... Et autant préciser qu’il ne reste pas grand chose de ce qu'on connait par le Godfather of Soul, si ce n'est une trame rythmique et les paroles, mais cette version au moins (une fois de plus) a le mérite de ne pas être figée ! C’est le moins qu'on puisse en dire... Pour finir, le disque nous révèle le "Messing With The Kids" de Junior Wells et "Some Other Guy" de Leiber & Stoller, qui sont pratiquement taillés sur mesure pour lui. Malgré l’éclectisme des choix, le disque sonne plus qu'homogène. Un "must" plutôt...

X. I WISH IT COULD BE...

Il faudra attendre 5 ans le nouvel LP : "Barbed Wire Blues" ne sort que début 89. Encore sur un label différent : Instant Records, une des sous-marques du label allemand Line, fort réputé pour ses rééditions. Line qui, entre-temps a sorti une très bonne Wilko compilation, à conseiller aux néophytes. Comme pour l’album précédent, on ne trouve plus mention de Solid Senders, mais seulement Wilko. Peut- être s'est-il résigné à ne plus entretenir l’idée chimérique d'un groupe ?... La pochette, en noir et blanc, représente Wilko avec ses deux nouveaux acolytes (Salvatore Ramundo, batterie et chœurs, Norman Watt-Roy, basse et chœurs) au bord d'une route, le long d’une clôture, qui symbolise sûrement ce "Blues Du Fil De Fer Barbelé". La première surprise réside dans le tait que c’est le premier album de Wilko où ne figure aucune reprise : c’était donc possible ! La seconde est de taille aussi : il a encore réussi à épurer son jeu ! Pour lui, à l'inverse de certains autres, faire des progrès doit signifier aller au plus simple. Ce qui ne signifie pas pour autant chercher l'évidence totale. Les compositions tiennent la route plus qu’honnêtement. Pour preuve, ce "Waiting For The Rain", qui pourrait laisser croire qu’il est allé chercher son inspiration du côté du Sahel Ou encore "I Keep It To Myselft", qui résume la personnalité de celui qui sait qu'il ne peut rien attendre des autres, et s’en prendre toujours à la même personne, lui-même... Et si dans cet enregistrement, il fonce à l’essentiel (a-t-il jamais fait autre chose, musicalement, s'entend ?...), le son est propre, on y retrouve même les riffs griffés comme sur les premiers Feelgood aux côtés d’un blues mélodique (l’un n’empêche pas l'autre !) de première qualité : "Lelting The Night Go By". Deux mercenaires émaillent cette album de leurs interventions (réussies), qui au piano (John Denton) qui à l’harmonica (Charles Shaar Murray).Certaines compos, comme "Cut In The Traffic", vont même jusqu’à sonner classique. Wilko n’a sûrement jamais sorti un seul mauvais album, mais celui-ci est au dessus de la mêlée. Proütezen, il est encore disponible ! ....

XI. LOOKIN’ FORWARD

Où est Wilko en œ moment ? Les informations, sur ce bonhomme qui ne se livre pas facilement, ont du mal transparaître. Est-il, entre deux tournées des pubs, en train de négocier un hypothétique enregistrement avec un obscur label ? Où alors en pleine rentrée scolaire, lassé des aléas de son image de bluesman moderne, à l'éternel costard noir ripé et aux doigts durcis ? Espérons que la première hypothèse de cette altérative primera, même si le prochain album doit se faire attendre. Quoi qu’il en soit, dès qu'on aura des nouvelles, elles seront dans l'Echo !

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