Dr. Feelgood
Dr Feelgood - Avoir La Tronche (1978)

Rock Hebdo © Philippe Bouillaguet


Lee Brilleaux

Il est cinq heures du soir et je n’ai aucune envie de prendre un thé avec des petits beurres. C'est d'autant plus la mauvaise heure que les pubs à cette heure sont encore vides et lugubres comme les rues qui les entourent. De toute façon maintenant c'est de plus en plus difficile de voir un bon groupe, Si seulement te pouvais y revoir Feelgood, ou un groupe ressemblant, ce serait tellement biens.

Des anecdotes

J'suis pas spécialement vieux, mais bien souvent les concerts m'emmerdent sans parler des nouvelles productions qu’arborent les magasins. J`avais un pote (je sais pas ce qu'il est devenu une O.D. comme il s'amusait à dire avec ses yeux délavés et ses dents jaunes, sourire dans la nuit), un vrai. Je savais très bien ce qu'il aimait : les bands délirants Beefheart, Zappa, toute une époque et Feelgood. Surtout Feelgood, Quand on sortait dans la rue le moins que l'on puisse dire c`est que l'on ne passait pas inaperçu. Le métro blanc. Les murs blancs. Feelgood comme il disait.

Le problème c'est qu'en France, je n'ai jamais connu d`autre type comme lui, même avec son costard il était, semblait, pour les connards, malsain. En France les "loubeux" même ceux de la bastoche non pas les gueules que m’évoque le nom de Feelgood. Le règne des petites pétoires voilà la dimension de notre pays. En Grande-Bretagne les rockers, pas rockys, n'ont pas d'engins pour frimer. Ils se promènent les mains dans les poches, mais on se demande si elles ne cachent pas aussi un cran d’arrêt.

J'suis pas prêt d’oublier non plus l’espèce de petite grosse qui attendait à Pantin. On y avait été pour se marrer. Je ne sais plus pour quel concert. Au cours de la discussion avec son amie elle lui déclara que l'album Stupidity était parfait, qu'ils étaient complètement stupides. J'lui aurait bien claqué le museau à cette nouille si je n’étais pas aussi réservé et poli. Feelgood est beaucoup de choses, tout ce que l'on veut, sauf stupide.

Stupidité

J’ai aucune envie de vous envoyer une nécrologie facile sur eux, mais cet album est très bon, sa phrase immonde.

Cet album enregistre en public vous allonge sur la table du vouloir. Le second était peut-être mieux, il mettait en valeur un Lee Brilleaux aussi puissant que John Kay. Mais un concert de Feelgood ne peut s’oublier, on en reçoit trop à travers la tête. Comme une bonne bière, le bassiste Sparko vous emplit le ventre et lorsque vous voulez vous lever ! Là seulement vous vous rendez compte que vos pieds mollement collent au tapis. Wilko érecte aussi des sauts, des soubresauts capables de vous procurer un arrêt du cœur ?

Tellement il est évocateur avec ses spasmes d'énergie, Il plante son portrait entre les vieilles photos de Bo Diddley et de Chuck Berry - dans le nouveau hall du Rock'’n'Roll. Alors ils ont éjecté Wilko… Speakin’suspicion. Ca voudrait dire que Feelgood c'est Brilleaux, que Brilleaux ? Les deux premiers albums indiquaient que le groupe ne pouvait pas tellement sortir de la rigidité, d’où ce rejet.

Leur langage, le Rythm’n’Blues, reste sublime. On n'a plus le droit désormais, on n`aura plus la possibilité de s'aventurer avec des solos explosifs qui vous détruisent le cerveau par des petites touches de nitroglycérine ! Un flamboiement que ne connaissent qu’imparfaitement les dits "speedé" Groovies, trop incarcérés dans la légende. Lee Brilleaux gagne la partie, il nous offre une nouvelle expérience, indirectement, avec les Solid Senders. Lee crie, étouffé, Son harmonica enflamme l’enfer ! Il transpire à grosses gouttes. Chevauchée pour cavaliers qui ne veulent plus déceler, préférant leur quartier au reste du monde. Feelgood aux States c'est un défilé d’ivrognes, garanti aux succès, qui jouerait comme les chrétiens dans l’arène aux lions. Pourquoi assurer la première partie du Kiss ? Un groupe qui vous propulse dans un rêve aussi instructif qu'un badge. Feelgood n'a pas besoin de maquillage ! Il est bien nature, naturel. En cela. Feelgood ne peut pas faire un mauvais disque. Si Brilleaux est limité vocalement, pas très riche en octaves, sauf quand il gueule, c’est parce que l’existence vous limite et que vous ne vous sentez bien qu'en gueulant à sa face un bon coup. Si cela arrive souvent vous êtes fantastique. Il est fantastique ! Et puis c'est une stupidité de dire que Feelgood ne se sent pas bien...

La galaxie de l'Union Jack

Je me demande si l'on comprend bien l’importance de Feelgood dans notre beau petit pays. La ou les cafés ne sont que des grandes vitrines pour refléter la réalité. Où aller ! Feelgood vous restitue l’ambiance des saouleries, mais on ne peut se défoncer en France comme en Angleterre où les pubs resplendissent comme des astres, ou les femmes sont souvent interdites. Plaisir d'homme, problèmes d'homme, comme dirait Ferré.

Feelgood n'efface pas la misère, une haine que nous connaissons tous, une haine qui nous ouvre éclate les yeux. Il sélectionne les émotions, c`est tout, le corps agité. Feelgood c’est un mythe…

Son nom sonne comme "rebel rebel" de Bowie, il renferme toutes les formes de défonces possibles, surtout celles qui plaisent. Le mec au visage blanc et fin qui porte un pardessus trop grand qui lui tombe sur les pieds, la main tendue pleine de comprimés d'amphès, des roses, des jaunes, des bleus, de toutes les couleurs, Vous pouvez mettre sur le nom la couleur que vous voulez, c’est un rêve que vous vivez à fond, quotidiennement sans vous en rendre compte : C'est le shoot qui vous a élevé, mais maintenant vous ne vous rendez plus compte, c'est devenu logique et linéaire. Feelgood est un groupe saint. Les ponts n’ont pas changé de places, mais vous continuez de marcher dans le vide, ce qui n’est pas forcément irréel, c’est juste une question d'adaptation, Ne sautez pas la rambarde. Ils se sont accrochés pour vivre, c'est ce mérite qui est merveilleux. L'hiver froid ne s'en va pas, il revient à chaque saison, quand vous vivez dans la rue vous vous en rendez tout de suite compte, Feelgood n`est pas un groupe saisonnier. Feelgood c`est le groupe de tous les jours, ceux qui se ressemblent tous. Les sorties d'usines de l'Essex ou d’ailleurs, les sorties quoi ! Feelgood c’est la neige couleur d'ardoise...

Nous avons un peu perdu pied, je ne parle pas du départ de maître Wilko, car nous avons un air lointain de satisfaction face à la réalité. Un air que l'on ne peut plus oublier, l'homme qui est descendu dans le métro ne peut plus croire qu'il est le fils lointain du bel Adam. Feelgood c'est le vent qui vient s’écarteler sur les tombes du cimetière den face, celui que vous fixez sans arrêt. Des aiguilles noires, le temps qui s’éclaircit. L'écume des jours de Vian c’est de la littérature d'enfant de cœur. Feelgood n'a pas le cœur à rire. Feelgood est au creux de la vague il le sait, c'est un vieux navire celui du Rythm’n’Blues qui ressurgit sèment la terreur. Une terreur qui creuse par chaque effort la mollesse. Feelgood ne se laisse pas abattre, il ne peut plus être abattu, comme les Pink Ferries, pas très connus, ceux qui les ont connus ne pourront les oublier. Feelgood ne doit pas être une légende, ils ne doivent pas vivre avec la distanciation. On peut être un esthète et traîner dans les bars. En France, on différencie ces deux attitudes, c’est comme nos juke-boxes, ils ne sont pas encore électrifiés. Le Christ n'a pas inventé la guitare électrique, dommage pour lui. Le Christ s'est fait fixé, mais il n’a jamais été branché sur le fixe.

Désormais les films hurlent, ou alors changez de salle. C’est d'autant plus facile que la jungle est devenue une grande cité. Feelgood c'est la ville. La campagne il la retrouve synthétique pour un match de l’Arsenal. Un match. Feelgood a un match à gagner. Plus son équipe sera entraînée mieux elle réussira. J’emploie une machine mécanique pour m'éviter une fatigue inutile celle de recopier. Feelgood ne craint pas la peine quand il reprend un titre il le refait à son image. Comme des caractères d’imprimerie, les touches noires et blanches, ils savent que dans la vie il existe aussi le gris. Le ciel est trop souvent gris C'est pour cela que vous aimez la chaleur des troquets ou vous pouvez laisser votre ventre chaud étreindre la solitude sans avoir à se plaindre.

Feelgood fait de la politique, mais ce n’est pas du syndicalisme.

Ils passent à travers les petits intérêts à travers le lendemain que l'on vous promet meilleur. Le lendemain sera-t-il. Alors autant ne pas trop y penser. Feelgood voit ainsi plus loin, Le détail révèle souvent plus que les prédilections que l’on ne verra peut être jamais, Un batteur ne pense pas au morceau suivant sinon il n'a pas la force de bien le propulser en avant. L'élargissement de la conscience devrait enlever le bouillonnement gris que l‘on boit tous les soirs, Feelgood ne plane pas, ne fait pas croire et en s'accrochant a la réalité on le suit plus aisément.

Je ne sais pas si je me lais bien comprendre, mais vous n’avez qu`à vous ouvrir le front avec une lame de rasoir. Vous verrez que vos vues sur la matière et la routine s’élargissent en restant agrippé au lavabo. Feelgood c’est une image de tête, une notion relativement cérébrale bien sûr et ce n'est pas la peine de se déguiser, cette image vous ne devez pas l'avoir sur vous, mais dans vous, Feelgood c'est avoir une tronche, mais aussi avoir quelque chose dedans, tout dans la tronche ! ... Feelgood tranche en cela assez souvent avec son public qui ne pense qu'à boire et passer un bon moment, si ce moment ce renouvelle souvent la voix s'ouvre.

J’aurais très bien pu commencer par des anecdotes propres au groupe, mais la vision de Feelgood peut être vécue par chacun de nous, ce n'est pas un paradis fabrique par des hommes d’affaires pour gosses pubères et si vous le vivez à longueur d’années vous n’avez même plus besoin d’écouter, ou alors cela vous plait de trop. Feelgood est un groupe qui ne s'oublie pas facilement soit parce qu’il vous a marqué soit parce que vous vous rendez bien que compte que dans les autres il n'a rien à en tirer. Ou alors leur guimauve. Feelgood est un groupe de juke-boxes, pour juke-boxes de gare, en trois minutes il vous réveille comme un scotch, et sauter sur le marchepied, vous amuse. Feelgood n'est pas un groupe amusant. Les punks jouent pour le fun, eux jouent pour plaire et pour le fric, car jusqu’à présent il en faut pour vivre. Feelgood est un groupe d’adultes.

Les Sex Pistols aujourd’hui représentent l'Angleterre, mais en fait il représente une idée de Malcom Mc Laren, venu au bon moment Feelgood symbolise les tripes de ce pays. Leur horoscope n'est pas aussi heureux, eux savent bien lire sur les rivages de leurs compatriotes.

Si votre tête de lecture saute a cause des rayures imprégnées sur votre unique disque du groupe ce n'est pas grave. L’Union Jack est beurre de rayures. Leurs albums ont le son qui détruit votre chaîne, c’est parfait il est meilleur de l’écouter sur un tourne-disques mono. Feelgood ce n`est pas l’ambiance des salons de thé. Les salons ou la rigueur est devenue fade. Feelgood c'est la rigueur d’un spasme...

Feelgood c’est un groupe que l'on n’écoute pas en privé et même s’il se trouve privé de Wilko Johnson qui a fait sa valise. Les médicaments demeurent au fond de la valise. Feelgood n'a pas perdu ses pratiques, le saviez-vous ?

Oui, j'me sens pas trop mal...

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